Ni d'Eve ni d'Adam

Mais là, il venait de dire ce que j’avais vécu avec lui, je venais de le comprendre. Et quand on me dit le mot juste, je deviens enfin capable de ressentir.

— Je veux te donner l’étreinte fraternelle du samouraï.

Me fut épargné cet épisode sinistre entre tous, barbare et mensonger, qui s’appelle la rupture. Sauf en cas de crime ignoble, je ne comprends pas qu’on rompe. Dire à quelqu’un que c’est terminé, c’est laid et faux. Ce n’est jamais terminé. Même quand on ne pense plus à quelqu’un, comment douter de sa présence en soi ? Un être qui a compté compte toujours.

es chevaux bondissent et parviennent tout juste sur l’autre bord, sauvés, les méchants ne sautent pas, ils sont moins courageux parce qu’ils n’ont rien à fuir, le désir d’attraper est moins violent que la peur d’être attrapé, voici pourquoi la Rhapsodie hongroise de Liszt se termine sur un triomphe.

Par la fenêtre, la Sibérie interminable, toute blanche d’hiver, prison idéale pour cause d’immensité. Ceux qui s’évadent meurent perdus dans un excès d’espace. C’est le paradoxe de l’infini : on pressent une liberté qui n’y existe pas. C’est une prison si grande qu’on n’en sort jamais. Vu d’avion, c’est facile à comprendre.

La fuite donne la plus formidable sensation de liberté qui se puisse éprouver. On se sent plus libre en fuyant que si l’on n’a rien à fuir.

Il peut arriver que fuir soit un acte d’amour. Pour aimer, j’ai besoin d’être libre.

J’avais touché juste : c’était parce qu’il n’y avait pas de mal en lui que je l’aimais beaucoup. C’était à cause de son étrangeté au mal que je n’avais pas d’amour pour lui. Pourtant, le mal ne me plaît pas. Mais un plat n’est sublime que s’il contient une touche de vinaigre. La Neuvième de Beethoven serait insoutenable aux oreilles si elle ne comportait des hésitations désespérées. Jésus n’inspirerait pas tant les hommes s’il ne proférait parfois des paroles si proches de la haine.

Quelquefois, j’étais soulagée de partir au travail. Il m’arrivait de préférer la guerre déclarée à la fausse paix. Et je me préférais martyre involontaire que bourrelle de bonne volonté. J’ai toujours eu horreur du pouvoir, mais il m’est moins pénible de le subir que de l’imposer.

Je ne comptais plus le nombre de filets de daurade encore frémissants que j’avais eus en bouche, pendant qu’un restaurateur ravi me regardait en disant : « C’est vivant, n’est-ce pas ? Vous sentez le goût de la vie ? » Je n’ai jamais trouvé que ce goût méritait cette pratique barbare.